dimanche 26 janvier 2014

CRISE DE LA PRESSE, CRISE DE LA DÉMOCRATIE : QUEL SURSAUT ?

Conférence de Laurent Mauduit, cofondateur de Médiapart
Sciences Po – Lille
Le journalisme est un secteur professionnel qui comporte le plus de logiques d’influences. Les exemples récents de Dassaut, industriel militaire français et sénateur UMP qui rachète Le Figaro ou de Lagardère, pourtant proche de l’UMP et affichant ses sympathies avec Nicolas Sarkozy qui rachète Le Monde ne sont pas les moins bons exemples.
Bernard Arnault, premier industriel français, patron du groupe spécialisé dans les produits de luxeLVMH est également propriétaire du journal Les Échos. Comment écrire librement sur les actions de patrons s’ils sont nos actionnaires et plus encore nos propriétaires ? 
Bernard Arnault, proche de l’UMP puisqu’il était témoin lors du mariage de Nicolas Sarkozy… Edouard de Rothschild, co-gestionnaire avec son frère du Rothschild Group rachète Libération en 2005. Le journal fondé par Jean-Paul Sartre est donc racheté et dirigé par son contraire idéologique, et probablement freine l’expression de la démocratie et l’indépendance des journalistes. Bernard Tapie rachète La Provence alors qu’il est condamné pour escroquerie en bande organisée. Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, ami personnel de Bernard Tapie ne s’oppose pas à ce rachat.
L’ambition de Médiapart est d’être un journal d’enquête, une presse indépendante au service des citoyens. Le journal s’est révélé au public grâce à l’ « Affaire Bettencourt », première grande affaire révélée par ce journal d’investigation. La liberté, l’indépendance économique et donc l’indépendance rédactionnelle dont il fait preuve n’est pas la même partout.
Les Échos, journal d’inspiration néo-libéral, est le fleuron de l’actualité économique et pourtant, la censure y est plus présente qu’ailleurs dans les écrits des journalistes employés, qui doivent se conformer, ne pas heurter ou déclarer des vices dont ils sont forcément au courant. La France souffre d’une crise économique mêlée à une crise du journalisme. Une majorité des français d’ailleurs ne font plus confiance en cette profession. Le secteur doit subir des transformations, et des réformes, venant d’abord d’une volonté des journalistes.
En effet, beaucoup de journalistes tendent à penser que le propre du journalisme est le papier, considéré aujourd’hui de plus en plus dans les écoles de journalisme comme la « vieille presse »qui s’oppose à la « presse de qualité », c’est-à-dire la presse numérique. Créer un journal papier coûte environ 30 millions d’euros tandis que créer un journal numérique ne coûte que 6 millions d’euros, c’est le montant qui a servi à créer Médiapart. L’économie numérique est plus légère et permet par conséquent, davantage de liberté de la presse. À travers internet, les journalistes ont la possibilité de maîtriser totalement leur indépendance.
Médiapart : 300 000 vues uniques / jour et 82 000 abonnés et 3 000 abonnés / jour durant l’Affaire Cahuzac.
Mais les transformations du métier de journaliste doivent aussi faire l’objet d’un débat politique. Seulement, les politiques font preuve d’autisme sur la liberté de la presse et cela ne date pas d’hier : La démocratie fonctionne en face à face entre le souverain et le peuple. Le développement des premiers journaux se fait sous le Second empire, où la presse n’est pas légitime. À l’époque, deux spéculateurs achètent et revendent les journaux et les mettent au service de l’Empire. Ce néo-bonapartisme dure dans l’Histoire de France : on se souvient de l’AFP (Agence France Presse) créée par le général de Gaulle. L’ORTF est considérée comme la « voix de la France libre »
En 2008 François Bayrou est le seul homme politique à dire « nous sommes dans un système malsain » lorsqu’il évoque sur la première chaîne de France (TF1) son actionnaire principal, le groupe Bouygues.
Les journaux papiers n’ont plus d’avenir. Le seul journal papier qui survit est Le Canard Enchaîné, dont les fonds dépassent les 100 millions d’euros à cause de son ancienneté. Mais aucun journal ne fait autant de recette et ne dispose de tels fonds. La plupart ont vieilli avec leurs lecteurs ; ainsi la moyenne d’âge des lecteurs du Figaro se situe autour de 59 ans, et les lecteurs deLibération autour de 60 ans. Le seul avenir possible pour la presse est de repenser son coût, puisque les étudiants par exemple ne peuvent acheter chaque jour un journal à 2 euros. Il faut également repenser la distribution des journaux dans des points de vente plus accessibles. Enfin, développer l’information numérique, où la France est en retard par rapport à ses voisins mondiaux. Entre le moment où internet débutait et le moment de la création du premier journal numérique (Le Monde), il s’est écoulé 20 ans.
Le Monde est voué à disparaître, puisque le journal papier est disponible gratuitement sur leur site internet, ce qui est une faute grave de la part du conseil de direction. Aujourd’hui les journaux ne survivent que grâce aux aides de l’État, qui d’ailleurs distribue des montants variables aux journaux… Nous sommes en droit de nous demander pourquoi.
Il ne faut pas oublier que la presse protège les citoyens en les informant et garantie le droit inaliénable de savoir. De plus, la République se doit de garantir la transparence dans la vie démocratique du pays vis-à-vis de ses citoyens.
La presse est gangrenée par des logiques d’influences graves entre le pouvoir financier et le pouvoir politique. Un véritable journal indépendant est possible, et l’économie numérique offre cette chance au XXIe siècle. À terme, les journaux nationaux sont voués à disparaître s’ils ne modifient pas leurs offres, et avant toute chose les journaux locaux, qui eux connaissent une crise encore plus importante et des déficits considérables. N’importe qui peut créer un journal, et un journal fonctionne uniquement si l’information qu’il propose est indépendante, et de qualité.
Damien NICOLAS

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